lundi 22 octobre 2012

Portrait d'Yvon Scornet, porte-parole de l'intersyndicale de la raffinerie Petroplus



Article publié dans Paris-Normandie


Yvon Scornet est la voix forte et fragile du combat des raffineurs de Petroplus, placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Rouen (Seine-Maritime). Il incarne la résistance exemplaire des anciens « rois du pétrole ». 


Il lui reste des larmes. « Oui, j’ai eu tort d’être trop optimiste. Mais maintenant on ne m’aura plus. On ira jusqu’au bout et il faudra que les masques tombent. » Non, non, ne vous inquiétez pas, Yvon Scornet, 55 ans, va mieux. En ce vendredi matin, trois jours après avoir évoqué son suicide devant une forêt de micros et sa propre femme Colette, le porte-parole de l’intersyndicale (CGT-CFDT-CGC) de Petroplus a retrouvé un peu plus d’espoir à la cafétéria de l’entreprise de Petit-Couronne (Seine-Maritime).
Officiellement, l’horizon de la raffinerie de 480 salariés reste pourtant précaire, placée en liquidation judiciaire, avec tout juste l’espoir que le 5 novembre le tribunal de commerce retienne enfin une offre de reprise. Celle de NetOil, qui aurait été enrichie depuis mardi et que les syndicats soutiennent. Ou une autre… « On a désormais plusieurs lignes à l’eau » glisse, énigmatique, le trésorier CGT du comité d’entreprise, qui s’apprête en fin d’après-midi à une première rencontre informelle à l’Élysée.
Devant le comptoir, tous les copains défilent, avec chacun un mot pour Yvon, se souvenant de son cœur fragile, partageant l’émotion du « Papa » de cette « Mémé », cette raffinerie qui a parfumé ici tant de générations.
« Un travail qui me plaît. Moi, au boulot je siffle ! »

Yvon Scornet a beau être le plus ancien élu du CE (depuis 1993), il ne fait pas partie des grognards.
C’est le 7 janvier 1980 – « à l’époque il y avait des embauches tous les mercredis » – à l’âge d’un peu plus de 22 ans, que ce « Breton de Paris », né près de Pontoise, intègre la Shell. Un itinéraire logique pour ce titulaire d’un DUT Chimie qu’il décroche à Rouen. Il se retrouve un temps ouvrier fondeur à Renault-Cléon avant de partir un an servir dans les commandos dans un régiment d’infanterie à Epinal. « Quand j’ai fait ma première manif à Rouen, avec ma coupe de cheveux, les copains croyaient que j’étais un RG ! (*) ».
A Petit-Couronne, malgré son diplôme il commence à la base, comme aide-opérateur. Alors militant Lutte ouvrière, il s’inscrit naturellement à la CGT… qu’il quitte au bout de deux ans. « Un réflexe petit-bourgeois. » explique-t-il aujourd’hui tout en évoquant la « période stalinenne » du syndicat.
Rythmée par les quarts – 5 h, 13 h, 21 h – cette vie singulière dans les effluves des cuves lui colle bien à la peau. En 1988, il rejoint le laboratoire des huiles où, en tant qu’opérateur il est chargé d’effectuer des analyses. « Un travail qui me plaît. Moi, au boulot je siffle ! » assure le père de trois garçons (de 27, 22 et 17 ans).
Trois ans plus tard, il colle un nouvel autocollant sur son placard : « La liberté c’est de syndiquer ». Un tournant. Et une claque salutaire. « Comme j’étais assez populaire dans l’entreprise, je croyais que le fait de me présenter allait faire progresser la CGT. Or, ce coup-là, elle a perdu, 6 ou 7 % des voix. Ça m’a remis à ma place ! Le combat syndical ce n’est pas un nom. C’est une œuvre collective ».
« La gauche socialiste a aujourd’hui tous les pouvoirs »

Compte tenu du poids du syndicat (75 % chez les employés-ouvriers), c’est naturellement que le cégétiste (98 kilos malgré une salle de sports dans sa maison de Caudebec-lès-Elbeuf) s’est retrouvé le porte-parole de l’intersyndicale. Et depuis le début du mouvement, il y a près d’un an, il ne fait quasiment plus que ça.
Le bon orateur et vrai timide mesure le chemin accompli. Sans débordement et sans cette « cécité » qui lui a été reprochée par le tribunal.

Depuis l’annonce du redressement judiciaire le 24 janvier dernier, l’entreprise aura tout de même réussi collectivement à protéger ses stocks, à relancer la production tout en assurant des travaux, à prouver qu’elle pouvait être rentable et même à anticiper financièrement les conséquences d’une éventuelle catastrophe sociale. En pariant non pas sur un miracle mais sur elle-même. Et à la force de l’évidence de la pertinence de leur lutte. « La gauche socialiste a aujourd’hui tous les pouvoirs. Si le changement c’est de continuer à compter les coups cela pose question », prévient encore Yvon Scornet au milieu de ses « copains ».
Il leur reste son cœur. Leurs tripes et leur honneur.

(*) Policier des ex-Renseignements généraux

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